Non: la frontière libanaise n’est pas une passoire!
Après plus de trois années de guerre civile en Syrie, l'étau semble se resserrer sur l'énorme population de réfugiés qui se sont installés au Liban. Le racisme anti-syrien post 1975, la méfiance et la suspicion sont à la hausse, et le décor est planté pour des changements de politique qui se traduiront probablement par la reconduite à la frontière de ceux qui fuient la brutalité en Syrie.
Les organisations des droits de l'homme et les ONG font de leur mieux pour s'assurer que ce ne soit pas le cas – en suppliant le Liban de continuer à honorer ses obligations internationales et de fournir un refuge pour ceux qui fuient les conflits. Toutefois, avec un quart de la population du pays maintenant composé de syriens, ce combat « humanitaire » semble être perdu d’avance.
Au début du mois de mai 2014, environ 40 syriens d’origine palestinienne qui avaient fui leurs maisons en Syrie, ont été expulsées après avoir été prétendument trouvés avec de faux documents de voyage à l'aéroport de Beyrouth. Neuf autres syriens ont également été refoulés, pour toute autre raison. Des centaines d’autres font l’objet d’un dumping systématique.
Peu de temps après, le gouvernement a annoncé qu'il apporterait de nouvelles exigences en matière de visas, Kafkaesque pour les syriens : il est maintenant obligatoire d’obtenir l'autorisation de la Sûreté Générale du Liban avant de pouvoir entrer dans le pays. Le gouvernement libanais a enfin pris conscience de la nécessité pour le Liban de reprendre le contrôle de ses frontières et de réduire de façon drastique le nombre de migrants syriens autorisés à venir chez nous. Officiellement, le Liban ne reçoit plus de réfugiés syriens, à l'exception de ceux en situation humanitaire de grande ampleur.
A l’échelle locale, une dispute amère sur le flot de réfugiés syriens commence à creuser des divisions entre les différentes communautés libanaises et à ajouter des contraintes au rêve de longue date d’un Liban uni. Retour en 1975? L’Histoire semble se répéter. Cette fois-ci le problème ne vient pas de la frontière sud mais plutôt de la frontière nord du Liban
Depuis le début de la crise syrienne, plus d’un million de personnes ont fui les troubles dans leur pays pour trouver refuge au Liban. Le Liban est certes renommé pour sa générosité et son hospitalité, mais étant déjà dans l’incapacité de subvenir aux besoins de sa propre population (instabilité sociale, clash communautaire, chômage, faillite du système éducatif, pénurie d’eau et d’électricité) ; le pays se voit prendre à la figure du jour au lendemain une crise humanitaire qui le dépasse de loin.
Le Liban a la concentration la plus élevée par habitant de réfugiés dans le monde, avec un résident sur quatre qui se trouve avoir fui son pays d’origine pour des raisons diverses (persécution, pauvreté, guerre…).
Une étude récente menée par deux professeurs de l'Université américaine de Beyrouth dans les régions frontalières les plus pauvres du pays - qui hébergent également la plupart des réfugiés - a révélé que plus de 90% des Libanais pensent que les syriens constituent une menace pour leur système de valeurs et leurs moyens de subsistance. Plus des deux tiers ont jugé qu'ils étaient un danger pour leurs femmes. 75% d’entre eux voudraient les empêcher de rentrer au Liban de peur de perdre leur emploi et se retrouver face à une pénurie d’eau et d’électricité encore plus grave.
La question qui se pose est la suivante. Tous ces syriens sont-ils vraiment des refugiés humanitaires? Etait-il vraiment nécessaire qu’ils quittent leur pays, alors que beaucoup d’autres, dont les villages ont été détruits se sont déplacés à l’intérieur du territoire syrien. Nombreux sont ceux qui commencent à s’apercevoir qu’un grand nombre de soi-disant réfugiés sous prétexte de fuir la dictature viennent au Liban en quête d’une vie meilleure (gains économiques et personnels) plutôt que pour la sécurité.
Sans vouloir viser qui que ce soit, cet afflux migratoire de réfugiés syriens est plus qu’un fardeau pour le Liban. Le plus grand problème est la réaction populaire à ce flux incontrôlé de réfugiés. Le ressentiment anti-syrien, qui avait diminué après le retrait des troupes occupantes en 2005, commence à refaire surface. Beaucoup de libanais, commencent à se plaindre de la situation dramatique du pays et à se soucier de leur avenir et de celui de leurs enfants dans un Liban envahi de tous les bords. Que ce soit par rapport aux emplois les plus modestes qui basculent entre les mains des refugiés qui se contentent de salaires nettement plus bas, ou par rapport à la surcharge des écoles et des hôpitaux et même par rapport à l'aggravation d'une pénurie d'électricité qui date d'avant la guerre en Syrie ; le peuple Libanais ne peut pas et ne devrait pas endurer les malheurs du monde alors que son propre pays est au bord du chaos depuis plus de 60 ans.
Mais le plus inquiétant des impacts est celui qui déstabilise le fragile équilibre sociopolitique qui, en fin de compte, demeure le seul garant de la paix civile au Liban. Au niveau démographique, nombreux sont ceux qui s'inquiètent de l’avenir des minorités, et de l’équilibre du pouvoir, savamment divisé entre chrétiens, musulmans chiites, sunnites et druzes.
Le Liban fut à un moment donné une passoire. Cela nous a coûté cher … très cher.
Un travail collectif de mémoire reste donc à faire.
Honorons nos martyrs et n’oublions pas la cause pour laquelle ils sont morts. N’oublions surtout pas la guerre civile qui a débuté en 1975 et qui hante encore les esprits. N’oublions pas qu’elle a été en grande partie le résultat indirect de l’afflux de dizaines de milliers de réfugiés palestiniens, suite à la guerre de 1948, casés dans des camps militarisés et transformés en taudis sordides. N’oublions pas qu’elle a été le théâtre de massacres honteux et de destruction massive des fondamentaux du pays, et qu’en fin de compte elle s’est soldée par l’occupation du pays tantôt par la Syrie et ensuite par Israël.
Un remake de ce film d’horreur est en cours d’exécution. L’histoire se répète encore sous des formes diverses, mais toujours aussi colorées. L’apparition d’un Etat Islamique n’étant qu’une variante qui vient s’ajouter à l’équation.
Une fois passoire, le Liban devrait éviter de le devenir une seconde fois. Il n’en a plus les moyens. N’en demeure pas moins, le Liban reste encore une terre d’accueil. Restons toutefois vigilants. Ne laissons pas la matière l’emporter et tâchons d’éviter les pièges qu’on nous tend.
Seuls l’union nationale et le dialogue nous sauverons de nos péchés d’antan.
Erik W. Chiniara
Après plus de trois années de guerre civile en Syrie, l'étau semble se resserrer sur l'énorme population de réfugiés qui se sont installés au Liban. Le racisme anti-syrien post 1975, la méfiance et la suspicion sont à la hausse, et le décor est planté pour des changements de politique qui se traduiront probablement par la reconduite à la frontière de ceux qui fuient la brutalité en Syrie.
Les organisations des droits de l'homme et les ONG font de leur mieux pour s'assurer que ce ne soit pas le cas – en suppliant le Liban de continuer à honorer ses obligations internationales et de fournir un refuge pour ceux qui fuient les conflits. Toutefois, avec un quart de la population du pays maintenant composé de syriens, ce combat « humanitaire » semble être perdu d’avance.
Au début du mois de mai 2014, environ 40 syriens d’origine palestinienne qui avaient fui leurs maisons en Syrie, ont été expulsées après avoir été prétendument trouvés avec de faux documents de voyage à l'aéroport de Beyrouth. Neuf autres syriens ont également été refoulés, pour toute autre raison. Des centaines d’autres font l’objet d’un dumping systématique.
Peu de temps après, le gouvernement a annoncé qu'il apporterait de nouvelles exigences en matière de visas, Kafkaesque pour les syriens : il est maintenant obligatoire d’obtenir l'autorisation de la Sûreté Générale du Liban avant de pouvoir entrer dans le pays. Le gouvernement libanais a enfin pris conscience de la nécessité pour le Liban de reprendre le contrôle de ses frontières et de réduire de façon drastique le nombre de migrants syriens autorisés à venir chez nous. Officiellement, le Liban ne reçoit plus de réfugiés syriens, à l'exception de ceux en situation humanitaire de grande ampleur.
A l’échelle locale, une dispute amère sur le flot de réfugiés syriens commence à creuser des divisions entre les différentes communautés libanaises et à ajouter des contraintes au rêve de longue date d’un Liban uni. Retour en 1975? L’Histoire semble se répéter. Cette fois-ci le problème ne vient pas de la frontière sud mais plutôt de la frontière nord du Liban
Depuis le début de la crise syrienne, plus d’un million de personnes ont fui les troubles dans leur pays pour trouver refuge au Liban. Le Liban est certes renommé pour sa générosité et son hospitalité, mais étant déjà dans l’incapacité de subvenir aux besoins de sa propre population (instabilité sociale, clash communautaire, chômage, faillite du système éducatif, pénurie d’eau et d’électricité) ; le pays se voit prendre à la figure du jour au lendemain une crise humanitaire qui le dépasse de loin.
Le Liban a la concentration la plus élevée par habitant de réfugiés dans le monde, avec un résident sur quatre qui se trouve avoir fui son pays d’origine pour des raisons diverses (persécution, pauvreté, guerre…).
Une étude récente menée par deux professeurs de l'Université américaine de Beyrouth dans les régions frontalières les plus pauvres du pays - qui hébergent également la plupart des réfugiés - a révélé que plus de 90% des Libanais pensent que les syriens constituent une menace pour leur système de valeurs et leurs moyens de subsistance. Plus des deux tiers ont jugé qu'ils étaient un danger pour leurs femmes. 75% d’entre eux voudraient les empêcher de rentrer au Liban de peur de perdre leur emploi et se retrouver face à une pénurie d’eau et d’électricité encore plus grave.
La question qui se pose est la suivante. Tous ces syriens sont-ils vraiment des refugiés humanitaires? Etait-il vraiment nécessaire qu’ils quittent leur pays, alors que beaucoup d’autres, dont les villages ont été détruits se sont déplacés à l’intérieur du territoire syrien. Nombreux sont ceux qui commencent à s’apercevoir qu’un grand nombre de soi-disant réfugiés sous prétexte de fuir la dictature viennent au Liban en quête d’une vie meilleure (gains économiques et personnels) plutôt que pour la sécurité.
Sans vouloir viser qui que ce soit, cet afflux migratoire de réfugiés syriens est plus qu’un fardeau pour le Liban. Le plus grand problème est la réaction populaire à ce flux incontrôlé de réfugiés. Le ressentiment anti-syrien, qui avait diminué après le retrait des troupes occupantes en 2005, commence à refaire surface. Beaucoup de libanais, commencent à se plaindre de la situation dramatique du pays et à se soucier de leur avenir et de celui de leurs enfants dans un Liban envahi de tous les bords. Que ce soit par rapport aux emplois les plus modestes qui basculent entre les mains des refugiés qui se contentent de salaires nettement plus bas, ou par rapport à la surcharge des écoles et des hôpitaux et même par rapport à l'aggravation d'une pénurie d'électricité qui date d'avant la guerre en Syrie ; le peuple Libanais ne peut pas et ne devrait pas endurer les malheurs du monde alors que son propre pays est au bord du chaos depuis plus de 60 ans.
Mais le plus inquiétant des impacts est celui qui déstabilise le fragile équilibre sociopolitique qui, en fin de compte, demeure le seul garant de la paix civile au Liban. Au niveau démographique, nombreux sont ceux qui s'inquiètent de l’avenir des minorités, et de l’équilibre du pouvoir, savamment divisé entre chrétiens, musulmans chiites, sunnites et druzes.
Le Liban fut à un moment donné une passoire. Cela nous a coûté cher … très cher.
Un travail collectif de mémoire reste donc à faire.
Honorons nos martyrs et n’oublions pas la cause pour laquelle ils sont morts. N’oublions surtout pas la guerre civile qui a débuté en 1975 et qui hante encore les esprits. N’oublions pas qu’elle a été en grande partie le résultat indirect de l’afflux de dizaines de milliers de réfugiés palestiniens, suite à la guerre de 1948, casés dans des camps militarisés et transformés en taudis sordides. N’oublions pas qu’elle a été le théâtre de massacres honteux et de destruction massive des fondamentaux du pays, et qu’en fin de compte elle s’est soldée par l’occupation du pays tantôt par la Syrie et ensuite par Israël.
Un remake de ce film d’horreur est en cours d’exécution. L’histoire se répète encore sous des formes diverses, mais toujours aussi colorées. L’apparition d’un Etat Islamique n’étant qu’une variante qui vient s’ajouter à l’équation.
Une fois passoire, le Liban devrait éviter de le devenir une seconde fois. Il n’en a plus les moyens. N’en demeure pas moins, le Liban reste encore une terre d’accueil. Restons toutefois vigilants. Ne laissons pas la matière l’emporter et tâchons d’éviter les pièges qu’on nous tend.
Seuls l’union nationale et le dialogue nous sauverons de nos péchés d’antan.
Erik W. Chiniara