Le Tribunal Spécial pour le Liban: tournant ou échec pour la justice internationale?
Suite aux attentats farouches de 2005, le Conseil de Sécurité des Nations Unies chargea la Commission d'Enquête Indépendante des Nations Unies d’enquêter sur l'assassinat du défunt premier ministre Rafiq Hariri. C’est dès lors que cette dernière proposa la création d’un tribunal international, le Tribunal Spécial des Nations Unis pour le Liban (TSL), en collaboration avec le gouvernement libanais pour mener à bout cette enquête et « rendre justice aux victimes des crimes et des attaques terroristes au Liban »
En tant que premier tribunal international à traiter le terrorisme comme un crime distinct, le TSL mandaté depuis 2009 de poursuivre, en vertu du droit international les auteurs d'actes criminels liés à l'assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri le 14 février 2005; marque un tournant – non seulement pour le Liban mais aussi pour le droit international .
La mise sur pied du Tribunal ainsi que son rôle ont été vivement débattus, à la fois dans les milieux de la justice pénale internationale et parmi le public libanais. D’un côté, ses partisans disent que le tribunal contribue à réduire l'impunité qui a longtemps caractérisé la vie politique libanaise, surtout depuis la guerre civile de 1975 à 1990. De l’autre, ses détracteurs soutiennent l’idée inverse à l’effet que le tribunal a été créé comme outil politique pour montrer d’un doigt accusateur la Syrie et son allié local, le Hezbollah.
Des dizaines de milliers de civils libanais ont été tués depuis le début de la guerre civile de 1975. En l'absence d’efforts concrets pour traduire les auteurs de ces crimes en justice, les critiques font également valoir que le TSL demeure l’apanage d’une certaine élite. Son existence même est une insulte pour les familles des libanais martyrs de la guerre civile et des guerres claniques successives, à qui ont fait savoir que la vie des leurs vaut moins que celle d'un politicien riche ayant une envergure internationale.
Les tribunaux internationaux sont souvent critiqués. Toutefois, le TSL, de par son mandat restreint et du fait qu'aucun des cinq suspects (tous membres d’un mouvement politique déterminé) n’aient été mis en garde à vue, remet en question la capacité du Tribunal à traduire les auteurs en justice (in absentia) et à envoyer un message clair aux éventuels terroristes. Jusqu’aujourd’hui le Hezbollah, qui ne reconnaît toujours pas la légitimité du Tribunal, maintient son innocence et refuse de remettre à la Cour les accusés.
En 2005, le chef de la Commission d'Enquête Internationale a recommandé publiquement l'arrestation de quatre généraux libanais pro-syriens soupçonnés d’avoir été impliqués dans l'assassinat du Premier ministre Hariri. Ils sont restés en garde à vue sans inculpation pendant quatre ans, conformément à la loi libanaise qui permet la détention indéfinie en ce qui concerne des affaires de sécurité. Lorsque le TSL a succédé à la Commission d'enquête Internationale en 2009, l’une de ses premières actions fut d'ordonner la libération des généraux pour manque de preuves.
Malgré un début turbulent et son échec à imposer sa présence, le TSL a déjà été responsable de plusieurs innovations qui pourraient servir de jurisprudence dans le traitement de futures affaires terroristes. En 2011, la Chambre d’Appel du TSL, qui a le pouvoir d'examiner les décisions prises par le Tribunal de Première Instance, a rendu une décision interlocutoire qui précise que, malgré le fait que le Tribunal soit tenu d’appliquer la loi libanaise dans les affaires de terrorisme, les dispositions de cette loi doivent être interprétées à la lumière de droit pénal international coutumier.
Un exemple vient illustrer ce principe. Le Code pénal libanais définit le terrorisme comme «tous les actes destinés à provoquer un état de terreur et commis par des moyens susceptibles de créer un danger public, comme les engins explosifs, les matières inflammables, les produits toxiques ou corrosifs et les agents infectieux ou microbiens ».
L'accusation et la défense dans l'affaire Hariri ont préconisé le respect de la jurisprudence libanaise, ce qui favorise une interprétation littérale du Code pénal libanais et limite l'étiquette de terrorisme aux actes commis par les moyens énumérés ci-dessus et donc l'exclusion, par exemple, des armes à feu (qui prolifèrent entre les mains des particuliers au Liban) comme outil terroriste.
La Chambre d'Appel a fait fi de cette opinion et a quand-même décidé d’élargir la définition du terme « moyens » pour y inclure toute arme ou toute autre chose qui soit susceptible de constituer une menace publique.
D’aucuns pensent toutefois, qu’un tel élargissement de la définition apportée au terme « mesures » risque de constituer un précédent dangereux. Plus particulièrement, la définition de la Chambre d'Appel donne désormais aux magistrats beaucoup de latitude pour déterminer quelles armes ou moyens pourraient constituer une menace pour le public. Cette définition exclue notamment l'exigence d'une motivation politique, religieuse ou idéologique.
D’autres avancent aussi que cette formulation ouverte, risque d’être exploitée un jour par un régime oppressif à qui on fournit un outil juridique potentiellement puissant qui peut être utilisé comme un moyen pour sanctionner et punir toute dissidence. En guise de caricature, une un tel élargissement de la définition pourrait mener à poursuivre pour acte terroriste un étudiant qui brise une fenêtre lors d'une manifestation.
Dans ce contexte, de nouvelles idées sont apportées par certains juristes du droit international, qui proposent la création d'une Cour Permanente du Terrorisme dont l’objectif serait de veiller à limiter l’abus des pouvoirs publics dans certains pays, et en quelque sorte jouer le rôle de gardien des valeurs universelles.
Cette Cour serait complémentaire à la Cour Pénale Internationale (CPI) qui a été créée dans un contexte bien défini et qui ne requiert pas les faveurs de tous les pays du monde, en l’occurrence les États Unis.
Les détracteurs de cette idée, pensent que la mise en place d’une telle Cour est peu probable dans l’immédiat, car jusqu’à ce jour il n’existe aucune définition précise et universelle du terme «terrorisme » en droit international.
Un autre scénario plus probable serait de voir les Statuts de Rome modifiées pour inclure le terrorisme (et ainsi le définir) et ainsi l’assujettir à la compétence de la CPI, à l’instar du génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et des crimes d'agression.
Mais même un tel élargissement du mandat de la CPI s'avérerait probablement une bataille difficile. Le débat en cours sur les crimes d'agression - essentiellement violence d’un Etat envers un autre - illustre les difficultés auxquels le tribunal de terrorisme est susceptible de faire face. Bien que les crimes d'agression soient inclus dans les Statuts de Rome, qui ont fondé la CPI, les États membres doivent encore s'entendre et se prononcer sur la définition à donner à ce terme. Un vote sur le sujet est prévu en 2017.
Certes, le TSL est une première en matière de droit international pénal. Sa mise en place fut le fruit d’une volonté politique internationale de mettre un terme au terrorisme étatique et farouche.
Tous les regards sont portés sur lui pour voir comment il va gérer son indépendance. Son succès sera basé sur sa capacité de juger et éventuellement de condamner les coupables et exonérer les innocents.
Le Tribunal n’a pas pour vocation d’exercer du légalisme thérapeutique et d’instaurer la réconciliation entre les peuples. Ceci est du ressort des psys, et non d’un tribunal pénal international.
Il demeure cependant une étape cruciale qui, si elle est bien accompagnée, devra mener vers la réconciliation. À un moment donné nous devrons affronter nos peurs et notre passé et mettre sur pied une stratégie globale pour lutter contre les causes sous-jacentes de la guerre civile qui restent encore aujourd’hui à l’origine de tous nos problèmes.
C’est à ce moment-là que nous pourrons parler de construction d’avenir.
E.C
Suite aux attentats farouches de 2005, le Conseil de Sécurité des Nations Unies chargea la Commission d'Enquête Indépendante des Nations Unies d’enquêter sur l'assassinat du défunt premier ministre Rafiq Hariri. C’est dès lors que cette dernière proposa la création d’un tribunal international, le Tribunal Spécial des Nations Unis pour le Liban (TSL), en collaboration avec le gouvernement libanais pour mener à bout cette enquête et « rendre justice aux victimes des crimes et des attaques terroristes au Liban »
En tant que premier tribunal international à traiter le terrorisme comme un crime distinct, le TSL mandaté depuis 2009 de poursuivre, en vertu du droit international les auteurs d'actes criminels liés à l'assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri le 14 février 2005; marque un tournant – non seulement pour le Liban mais aussi pour le droit international .
La mise sur pied du Tribunal ainsi que son rôle ont été vivement débattus, à la fois dans les milieux de la justice pénale internationale et parmi le public libanais. D’un côté, ses partisans disent que le tribunal contribue à réduire l'impunité qui a longtemps caractérisé la vie politique libanaise, surtout depuis la guerre civile de 1975 à 1990. De l’autre, ses détracteurs soutiennent l’idée inverse à l’effet que le tribunal a été créé comme outil politique pour montrer d’un doigt accusateur la Syrie et son allié local, le Hezbollah.
Des dizaines de milliers de civils libanais ont été tués depuis le début de la guerre civile de 1975. En l'absence d’efforts concrets pour traduire les auteurs de ces crimes en justice, les critiques font également valoir que le TSL demeure l’apanage d’une certaine élite. Son existence même est une insulte pour les familles des libanais martyrs de la guerre civile et des guerres claniques successives, à qui ont fait savoir que la vie des leurs vaut moins que celle d'un politicien riche ayant une envergure internationale.
Les tribunaux internationaux sont souvent critiqués. Toutefois, le TSL, de par son mandat restreint et du fait qu'aucun des cinq suspects (tous membres d’un mouvement politique déterminé) n’aient été mis en garde à vue, remet en question la capacité du Tribunal à traduire les auteurs en justice (in absentia) et à envoyer un message clair aux éventuels terroristes. Jusqu’aujourd’hui le Hezbollah, qui ne reconnaît toujours pas la légitimité du Tribunal, maintient son innocence et refuse de remettre à la Cour les accusés.
En 2005, le chef de la Commission d'Enquête Internationale a recommandé publiquement l'arrestation de quatre généraux libanais pro-syriens soupçonnés d’avoir été impliqués dans l'assassinat du Premier ministre Hariri. Ils sont restés en garde à vue sans inculpation pendant quatre ans, conformément à la loi libanaise qui permet la détention indéfinie en ce qui concerne des affaires de sécurité. Lorsque le TSL a succédé à la Commission d'enquête Internationale en 2009, l’une de ses premières actions fut d'ordonner la libération des généraux pour manque de preuves.
Malgré un début turbulent et son échec à imposer sa présence, le TSL a déjà été responsable de plusieurs innovations qui pourraient servir de jurisprudence dans le traitement de futures affaires terroristes. En 2011, la Chambre d’Appel du TSL, qui a le pouvoir d'examiner les décisions prises par le Tribunal de Première Instance, a rendu une décision interlocutoire qui précise que, malgré le fait que le Tribunal soit tenu d’appliquer la loi libanaise dans les affaires de terrorisme, les dispositions de cette loi doivent être interprétées à la lumière de droit pénal international coutumier.
Un exemple vient illustrer ce principe. Le Code pénal libanais définit le terrorisme comme «tous les actes destinés à provoquer un état de terreur et commis par des moyens susceptibles de créer un danger public, comme les engins explosifs, les matières inflammables, les produits toxiques ou corrosifs et les agents infectieux ou microbiens ».
L'accusation et la défense dans l'affaire Hariri ont préconisé le respect de la jurisprudence libanaise, ce qui favorise une interprétation littérale du Code pénal libanais et limite l'étiquette de terrorisme aux actes commis par les moyens énumérés ci-dessus et donc l'exclusion, par exemple, des armes à feu (qui prolifèrent entre les mains des particuliers au Liban) comme outil terroriste.
La Chambre d'Appel a fait fi de cette opinion et a quand-même décidé d’élargir la définition du terme « moyens » pour y inclure toute arme ou toute autre chose qui soit susceptible de constituer une menace publique.
D’aucuns pensent toutefois, qu’un tel élargissement de la définition apportée au terme « mesures » risque de constituer un précédent dangereux. Plus particulièrement, la définition de la Chambre d'Appel donne désormais aux magistrats beaucoup de latitude pour déterminer quelles armes ou moyens pourraient constituer une menace pour le public. Cette définition exclue notamment l'exigence d'une motivation politique, religieuse ou idéologique.
D’autres avancent aussi que cette formulation ouverte, risque d’être exploitée un jour par un régime oppressif à qui on fournit un outil juridique potentiellement puissant qui peut être utilisé comme un moyen pour sanctionner et punir toute dissidence. En guise de caricature, une un tel élargissement de la définition pourrait mener à poursuivre pour acte terroriste un étudiant qui brise une fenêtre lors d'une manifestation.
Dans ce contexte, de nouvelles idées sont apportées par certains juristes du droit international, qui proposent la création d'une Cour Permanente du Terrorisme dont l’objectif serait de veiller à limiter l’abus des pouvoirs publics dans certains pays, et en quelque sorte jouer le rôle de gardien des valeurs universelles.
Cette Cour serait complémentaire à la Cour Pénale Internationale (CPI) qui a été créée dans un contexte bien défini et qui ne requiert pas les faveurs de tous les pays du monde, en l’occurrence les États Unis.
Les détracteurs de cette idée, pensent que la mise en place d’une telle Cour est peu probable dans l’immédiat, car jusqu’à ce jour il n’existe aucune définition précise et universelle du terme «terrorisme » en droit international.
Un autre scénario plus probable serait de voir les Statuts de Rome modifiées pour inclure le terrorisme (et ainsi le définir) et ainsi l’assujettir à la compétence de la CPI, à l’instar du génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et des crimes d'agression.
Mais même un tel élargissement du mandat de la CPI s'avérerait probablement une bataille difficile. Le débat en cours sur les crimes d'agression - essentiellement violence d’un Etat envers un autre - illustre les difficultés auxquels le tribunal de terrorisme est susceptible de faire face. Bien que les crimes d'agression soient inclus dans les Statuts de Rome, qui ont fondé la CPI, les États membres doivent encore s'entendre et se prononcer sur la définition à donner à ce terme. Un vote sur le sujet est prévu en 2017.
Certes, le TSL est une première en matière de droit international pénal. Sa mise en place fut le fruit d’une volonté politique internationale de mettre un terme au terrorisme étatique et farouche.
Tous les regards sont portés sur lui pour voir comment il va gérer son indépendance. Son succès sera basé sur sa capacité de juger et éventuellement de condamner les coupables et exonérer les innocents.
Le Tribunal n’a pas pour vocation d’exercer du légalisme thérapeutique et d’instaurer la réconciliation entre les peuples. Ceci est du ressort des psys, et non d’un tribunal pénal international.
Il demeure cependant une étape cruciale qui, si elle est bien accompagnée, devra mener vers la réconciliation. À un moment donné nous devrons affronter nos peurs et notre passé et mettre sur pied une stratégie globale pour lutter contre les causes sous-jacentes de la guerre civile qui restent encore aujourd’hui à l’origine de tous nos problèmes.
C’est à ce moment-là que nous pourrons parler de construction d’avenir.
E.C